Avril 2022
•••CITOYENS DU MONDE•••
Manifestation de pêcheurs sur l’île de Chiloé.
Présidentielles 2022 : recherche Ecologie désespéremment
Depuis qu’elle existe officiellement selon son acception moderne, l’écologie est prisonnière de la politique et celle-ci se garde bien de lui donner sa place réelle, qui devrait être primordiale. L’otage, les détournements d’image et de fonds au détriment d’une nature dont on contourne la souveraineté — légalement inexistante, les ordres naturels n’ayant que les droits que les hommes lui concèdent —, c’est elle. Les arbres devraient-ils pouvoir agir en justice ? interroge en 1972 un professeur de droit américain, Christopher D. Stone, dans le cas bien précis d’une « colonisation » par Disney d’une vallée au sud du Sequoia National Park en Californie. L’association montée au créneau perdra le procès mais cet article fera date et servira à d’autres causes. « Il n’est ni inévitable ni bon que les objets naturels n’aient aucun droit qui leur permette de demander réparation pour leur propre compte », déclare-t’il, et l’on a l’impression de lire un héritier de J.-Jacques Rousseau : après les droits de l’Homme, ceux de la Nature que révérait déjà le Promeneur solitaire.
Euh… oui, au fait ! Pourquoi notre nature nourricière, vivante, n’aurait-elle pas des droits, au même titre que d’autres personnes morales telles que les sociétés ?
Que l’on imagine, par exemple, que dans l’inextricable conflit que fut Notre-Dame-des-Landes, ouvert également depuis les années 1970 puis relancé dans les années 2000, ce coin de terre ait pu faire valoir des droits inaliénables grâce à un tuteur légal, comme le droit d’exister et de voir respecter son identité et sa spécificité à l’échelle planétaire. Dans ce contexte légal, l’aspect écologique du dossier deviendrait prioritaire et difficilement contournable. Les droits de l’Homme recouvrent en apparence les droits de la Nature, mais ceux-ci restent soumis à des intérêts humains contradictoires. Cela masque de fait une forme de déséquilibre juridique, faute de mettre la nature à sa juste place et de concrétiser l’intérêt universel à la préserver par des Chartes et une législation forte, défendues par des institutions indépendantes et pérennes.
En 1974, René Dumont, Citoyen du Monde et premier candidat écologiste à la présidence de la République, avait accepté de jouer le mauvais rôle face à la bonne conscience ambiante. Il faut revoir la condescendance du monde politique et des médias vis-à-vis de sa campagne. Tandis que, pour citer l’un des instigateurs de sa candidature, « ses adversaires ont dû consulter leurs dictionnaires pour apprendre ce qu’était l’écologie ». Il est très significatif de constater, selon l’incompatibilité de l’écologie et de la politique que, bien que moqué largement dans son costume de candidat sans cravate ni langue de bois, il reste omniprésent comme une référence et l’un des initiateurs majeurs des mouvements écologistes. Aucun autre candidat, après lui, n’a eu le même charisme et n’a pu faire valoir une trajectoire aussi riche et proche du terrain… Dans tous les sens du terme.
Aujourd’hui, tristement, l’écologie politique telle qu’il l’a initiée a fait long feu. La scène politique est bien trop occupée par la lutte des partis et des classes et ces fameuses statistiques, PNB, croissance, chômage… L’écologie, si elle reste marquée à gauche, défie tout le système par l’ensemble de mesures à prendre pour, selon les termes de René Dumont, « non pas changer la société mais changer de société »… Dont la remise en cause de cette croissance illimitée jugée indispensable. Mais aussi celle de notre mode de vie et de notre rythme de consommation, d’une façon beaucoup plus drastique que le tri sélectif, l’alternance des voitures quand on commence à étouffer vraiment ou des plantations urbaines aux coûts parfois exorbitants, et plus anecdotiques et décoratives que réellement bénéfiques, pour ne citer que quelques exemples.
L’écologie, c’est autre chose, à commencer par le simple bon sens et la sincérité de la démarche, ce qu’il faudrait aussi rappeler aux industriels qui rivalisent désormais de logos et labels « bios », « respectueux de l’environnement », « développement durable », etc. plus ou moins fondés et crédibles. Ils sont certes déculpabilisants pour les consommateurs que nous sommes, soucieux de bien faire à 80 % selon l’Obosco (Observatoire société et consommation), mais ils galvaudent ces notions et brouillent notre vision sur un fait : les pouvoirs publics et les industriels, qui sont les premiers responsables, pourraient faire beaucoup plus et beaucoup plus vite.
L’écologie est surtout devenue, actuellement, la surface immergée d’une problématique gigantesque qui dépasse la cohésion humaine quand cette cohésion serait urgente, et l’on doute aussi beaucoup de la réelle volonté d’agir de nos dirigeants
On peut toujours faire et défaire les ministères, légiférer sans fin, les hommes passent et la nature trépasse. À l’ignorance du sujet et aux carences légales s’ajoute l’inefficacité de sa mise en pratique. La temporalité de la politique, la succession des partis, les divisions internes comme les frontières ne coïncideront jamais avec elle. Un autre obstacle tient à la fois à l’atermoiement si l’on est indulgent et à la corruption si on l’est moins : les lois et décrets sont généralement immédiatement retardés, minorés, adaptés selon des critères administratifs et financiers et ainsi transformés en mesures vidées de leur substance pour ne mécontenter personne.
Les législations et pouvoirs pouvant s’appliquer de façon contradictoire sur les mers ou les territoires, dans les États comme à l’échelle mondiale, freinent ou bloquent complètement l’harmonisation du droit à l’échelle planétaire, un droit véritable et non pas un droit des diplomaties, un droit contraignant et supranational au service de la biodiversité.
Presque un demi-siècle après la candidature de René Dumont, qui s’appuyait sur les nombreuses associations existant déjà, les consciences ont évolué plus largement, des réformes s’ébauchent mais très lentement. Trop lentement dirait-il.
Lui qui prônait — par exemple — la limitation de la production automobile se serait réjoui du mouvement de transition énergétique de certaines villes du monde et de la formation d’un réseau ; il n’y a pas que des mauvaises nouvelles mais elles ne répondent pas suffisamment à l’urgence. Ces villes, comme beaucoup d’autres structures locales, affichent une volonté d’évolution contre l’inertie et le centralisme des États et s’en donnent peu à peu les moyens. Et elles le font, très certainement, parce qu’elles l’estiment indispensable pour rester vivables. Mais pas seulement ; les initiatives manifestent aussi une nouvelle citoyenneté et des valeurs rappelant l’« austérité volontaire » et la « civilisation du bonheur » de René Dumont, comme la solidarité, le partage et la décroissance.
Le futur, pour reprendre les termes de Rob Hopkins, permaculteur et fondateur du Mouvement des villes en transition dans le film Demain, « pourrait être fantastique ».
L’Accord de Paris est peut-être un autre signe d’une prise de conscience mondiale vers la cohésion et la cohérence d’actions nécessaires mais le réchauffement climatique n’est qu’un résultat parmi d’autres de l’impact humain sur la planète…
Comment expliquer en ces temps électoraux que la protection de la planète tienne une place si réduite dans les débats et autres discours de nos douze candidats nationaux ? En effet, si l’on se réfère au baromètre mis en place par diverses ONG environnementales, la place accordée au climat dans le débat, par exemple, est de 2,7 %. Autant dire rien du tout. Et l’ensemble de la presse française comme étrangère fait le même constat : dans un pays qui semble de plus en plus concerné par l’écologie, elle est presque absente sur la tribune que représente la campagne présidentielle.
Tant que les citoyens ne s’en empareront pas, le crime d’écocide continuera de se perpétrer en toute impunité, commis par des entreprises aux appétits gargantuesques et au-dessus de tous soupçons
Il nous faut cesser de tout déléguer aux politiques et la politique en général. Nous devons prendre ne main notre avenir. Les changements sont inéluctables, les enjeux sont colossaux mais il reste encore aux citoyens de la planète une petite marge de manoeuvre.
Il nous faut d’urgence fournir des outils juridiques aux avocats, aux juges, aux citoyens de tous pays pour permettre de sanctionner les responsables devant des tribunaux habilités à juger ces crimes envers l’environnement.
Il faut du droit. Pas du droit international mais un véritable droit, un droit qui sanctionne pour protéger les citoyens et leur environnement.
Cosima de Boissoudy
Should trees have standing ? Toward legal rights for natural objects. Southern California Law Review, vol. 45, 1972. En français in Les grands textes fondateurs de l’écologie, dir. Ariane Debourdeau, collectif, collection Champs Classiques, Flammarion, 2013.
René Dumont, citoyen de la planète terre, réalisation Bernard Baissant, productions de la Lanterne, 1992.
Demain, Cyril Dion et Mélanie Laurent, productions Move Movie, 2015.
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